La baleine
Depuis que j'étais toute petite baleine,
Le souvenir me dit "terrible fille"-
Les premiers mots, la première peine
De ma fort faible et petite vie.
Solitude fut mon deuxième mot:
Parmi les milliers de sardines, d'anchois,
Aucune voulait mon amitié comme choix,
Tous fuyaient - ce que je fis, moi, un jour.
Dans les ténèbres du fond marin,
J'ai trouvé un refuge, lieu de réfléchir -
Réfléchir pour peut-être arrêter de fuir -
Mais on disait toujours: "vas t'en, tu n'est point d'ici".
Des abysses j'ai essayé de trouver un voie,
Voie pour remonter, revenir parmi les miens.
Miens? Avec les baleines je n'avais aucune voix;
Toutes grandes et fortes - terribles, voire...
Quand je grandis me vint une idée:
"Je voyagerai, connaîtrai toutes les marées,
Elles sont comme moi, ont des hauts et des bas -
Peut-être une au moins m'aimera".
Je le fis et pour des années je partis,
Seule, triste, à la recherche d'un ami:
Atlantique, Glacial et même la Méditerranée...
J'étais de plus en plus désespérée.
On me fuyait toujours et chaque fois plus.
Je ne pouvais ni rire ni chanter même plus -
Chanter était devenu peu à peu pleurer
Et le rire, je ne savais plus que cela existait.
Je me perdis dans la tristesse, le chagrin.
Toutes les nuits je désirais ne plus voir le matin
Sans beaucoup hésiter, je pris la décision lâche,
Celle qui hante les baleines, celle de mourir sur la plage.
Je choisis alors le sud, les eaux de mes cinq agonies
Et nageai donc vers les côtes de Patagonie.
l'au y était froide et manquait un peu de sel:
L’insipide me rappelait une souffrance éternelle.
Au soleil, les animaux, assis ou couchés sur les gradins,
Attendaient impatiemment la fin de mes chagrins.
Phoques, otaries et éléphants marins dans leur gras repos,
Les mouettes et pélicans tournant dans le ciel et scrutant l'eau.
J'émergeai enfin avec un tel bruit que leur fis peur -
Les petits des phoques arrêtèrent de jouer, car en pleurs;
Les gracieux vautours blancs se cachèrent rapidement;
Et moi, seule, mourus triste et douloureusement.