Face a face avec la mélancolie
La confrontation avec cette sculpture provoque l’effet d’une marche arrière dans le temps ; le temps de la jeunesse de quelqu’un qui en compagnie d’une tante, bénévole dans un hospice, traverse l’épaisseur des murs d’une « Cita dolorosa ».
Un après-midi d’été. Il faisait très chaud. Etre là, face à face avec la folie c’est en prendre plein les yeux. On est traversé par une froideur glaciale et devant l’indicible on a le sentiment d’être coupé par une lame de rasoir comme une manière de compatir à cette douleur. Impossible d’oublier une telle expérience ; inévitablement, les images de la maladie mélancolique restent pour toujours imprimées dans la mémoire. Elles restent renfermées et rangées dans les profondeurs, telles les photos, prises et jamais développées ; «ça été » et «ça reste toujours ».
A ce moment là, la réaction est de vouloir quitter le plus vite que possible ce lieux d’enfermement. Médusée sûrement, car confrontée à un temps où les minutes et les seconds n’ont aucune valeur dans la vie de ces individus pris par la bille noire.
Cependant, le choc provoqué ne laisse pas indifférent à ces regards qui ne regardaient point. Ces regards hagards, on les voyait, avec la juste conscience de la douleur vécue par ces êtres éloignés d’eux-mêmes et de tout ce qui les entourait. Etre là et se sentir sans action, ayant seul le regard comme témoin de quelque chose sans matière, sans prise, étrange et éphémère qu’est la folie.
Une après-midi d’été. Il faisait très chaud dans ce patio de pur béton ; devant nous une femme assise par terre, ayant comme seul habit, un très haut mur gris. Cette femme avait les épaules brûlées par le soleil tropical dans la plus complète indifférence du personnel soignant. Détachement d’un côté, abandon de l’autre. Rien ne les rapprochait. Le silence retentissant semblait ne pas faire écho à ceux qui pouvaient l’entendre. Car, le mélancolique, se trouve dans l’état qui contrarie et disqualifie le cycle des échanges et des réciprocités quotidiens. Il est un individu en exil. Il est en retrait avec ce qui l’entoure et avec lui-même. Il est donc laissé à lui même puisque dépourvue du rapport de l’humain, de l’homme à sa raison.
Devant l’image de la sculpture de Ron Mueck le rapprochement se fait inexorablement. C’est peut-être dans la pose que le lien se fait. La déchéance d’un corps obèse et vieillissant trouve ses formes dans l’Art. L’artiste « utilise l’artifice pour nous faire voir en absence de l’objet vrai comme on voit l’objet vrai dans la vie » La mélancolie a trouvée sa représentation ; l’image de cet homme nu, le geste de sa main tenant la tête, ce corps vidé de ses émotions renvoi à celui de la femme resté dans la mémoire ; que d’images et des formes car la pensée de ces êtres ne se trouve pas en mesure d’être percée. Ils se ressemblent par la douleur des êtres abandonnés d’eux-mêmes, visibles mais pas voyant.
L’excès de visibilité de cette œuvre, par effet de projection peut-être, réveille l’image de la femme d’une chaude après-midi dont sa nudité n’était qu’accessoire d’une grande détresse.